Hier soir, je suis allée à la soirée de Noël de l’entreprise où je travaille. C’était la première fois de ma vie que j’avais hâte à ce genre d’événement qui, d’habitude, me rend plutôt bougon et anxieuse. Les gens qui travaillent pour cette entreprise y restent longtemps — 10, 15, 20 ans — parce qu’on y respecte pleinement leur autonomie et leur intelligence et qu’on ne se prend pas (trop) au sérieux.
Des gens sympas, un lieu accueillant… Tout ce qu’il faut pour m’émouvoir aux larmes. Hier, j’ai donc eu les yeux mouillés une bonne partie de la soirée, pour finir par fondre en larmes devant R.C., ma collègue d’une gentillesse et d’une humanité infinies. Aujourd’hui, j’ai annulé mes plans de magasinage et de rangement, et j’ai plutôt lu, prit une courte marche et regardé un film.
Je me sens mieux. Et mieux encore, j’ai pu comprendre hier pourquoi j’avais à la fois tellement soif des contacts amicaux, bienveillants et bon enfant que j’observais parmi mes collègues et tellement peur de me laisser aller pour y goûter.
D’abord, j’ai réussi à respirer, ce qui est vraiment un plus. Ensuite, je me disais : « J’ai peur parce que mes propos viennent souvent du champ gauche et surprennent; j’ai peur d’être rejetée. » Mais ce n’est pas vraiment cela. De plus en plus, je constate que mes propos, s’ils surprennent, sont également souvent appréciés. D’autant plus que je m’identifie moins à mes idées et, donc, que cela ne me dérange plus tant quand une personne est en désaccord avec moi.
Non, la vraie raison, c’est cette blessure profonde qui m’est apparue hier dans une lumière aveuglante : celle que m’a causée bien involontairement mon père en quittant ma mère lorsque j’avais 4 ans. Cette blessure est encore présente, bien présente… Quarante-huit ans, ça peut paraître long à l’échelle d’une vie, mais ce n’est rien à l’échelle de l’histoire humaine, ni apparemment à l’échelle d’une psyché…
L’autre plus de cette soirée de Noël, c’est que j’ai réussi à ne pas blâmer mon père, mes collègues, la vie ou moi-même pour ma tristesse et mon désarroi. Cette blessure existe, c’est tout, et lui chercher un coupable n’y change rien. Comme le cancer et les problèmes biliaires d’A.T., ma blessure est injuste, mais elle existe. Perdre de l’énergie à s’en plaindre n’est pas utile, et même contreproductif.
Cela fait deux ou trois semaines que je fume plus de cannabis que d’habitude, quelques bouffées tous les soirs, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je ne comprenais pas ce qui se passait mais là, je le sais : c’est cette soirée de Noël dont je cherchais inconsciemment à atténuer les fortes émotions à venir, alors même que j’avais hâte d’y assister. Là, il me reste un peu de cannabis et j’arrive très bien à ne pas en prendre, et même à envisager de jeter ce qui reste. C’est fou.