Ce truc est difficile à écrire, mais… il faut ce qu’il faut pour avancer : mettre ces idées noir sur blanc pour les situer dans le temps et les voir évoluer.
Mon yéti, donc. Ce monstre intérieur qui râle contre tout, qui n’est presque jamais content, qui trouve toujours à redire… Je pensais à lui, hier, en période de distanciation sociale, alors que je roulais en vélo sur une piste cyclable. Les pistes cyclables ne sont pas assez larges pour laisser une distance de deux mètres entre des cyclistes qui se croisent. Les hommes blancs en particulier ne se poussent pas car, oui, la place que l’on occupe dans l’espace public est une question racisée et genrée.
Bref, mon yéti intérieur avait le râle facile 🙂 Mais cela n’aidait pas à 1) améliorer le partage de l’espace, 2) alléger l’atmosphère ni 3) passer une plus belle journée. En d’autres mots, cette forte colère intérieure était déplacée et contre-productive. Je me suis rendue compte heureusement que, quand je parlais gentiment à mon yéti, quand je flattais son poil pour le calmer (oui, j’ai une vie intérieure très riche 😉 les choses allaient mieux. Les cyclistes qui ne se poussaient pas, eh bien… n’avaient pas la même vision que moi du partage de l’espace et c’est tout. Et ma bonne humeur augmentait.
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Le yéti est aussi très présent quand je suis témoin d’injustices, qu’elles soient génétiques, raciales, économiques ou autres. J’ai compris cela l’autre jour en voyant une femme qui boitait. Dans ma tête, c’est injuste : pourquoi son pied, sa jambe ou ses hanches sont-ils abîmés, la forçant à boiter? Pourquoi moi, j’arrive à bien marcher? Je suis triste pour elle, j’aimerais pouvoir l’aider, j’ai honte de mes pieds qui fonctionnent bien…
Je le sais bien, dans le fond, que c’est la vie, que c’est comme ça. Intellectuellement, je le comprends. Mais la petite fille en moi dit : « Ce n’est pas juste! » et elle se fâche contre cette femme qui boite. C’est de sa faute. C’est absolument horrible de penser cela — et le cœur me débat juste d’y penser — mais c’est vraiment cela que j’ai entendu dans ma tête quand je me suis arrêtée pour m’écouter.
Quand je me suis limitée à la seule réalité, sans l’interpréter, je me suis rendue compte que cette injustice — un jambe qui boite versus une jambe qui ne boite pas — me restait à travers la gorge. Je la sentais là, littéralement, incapable de l’avaler, de l’accepter. Puisque je n’arrive pas accepter cette réalité, que cela ne peut pas changer, j’en assigne le blâme à la personne elle-même…
Je pense que ce manque d’empathie envers les autres est directement lié au manque d’empathie dont je témoigne envers moi-même et à mon yéti si prompt à crier et à assigner des blâmes, sans prendre le temps de comprendre, de se laisser toucher ou juste de lâcher prise.
Je me rends bien compte, intellectuellement, que blâmer les victimes est absolument débile. C’est pourquoi je vote à gauche et que je soutient du mieux que je peux les organismes et les gens qui travaillent pour plus d’équité. N’empêche que, au-delà de l’intellect, mes émotions infantiles et mal digérées me disent autre chose. Si ces pensées me font honte, je suis quand même contente de pouvoir les entendre et de savoir qu’elles sont là. Prendre conscience d’un problème est le premier pas vers sa résolution, dit-on.
Voilà. Et maintenant je publie.