Le modèle scandinave fait rêver, mais ce qu’on en imagine correspond rarement à la réalité. C’est ce qu’écrit Éric Desrosiers dans Le Devoir, dans une critique du livre à paraître, « Social-démocratie 2.0 – Le Québec comparé aux pays scandinaves », sous la direction de Stéphane Paquin et Pier-Luc Levesque. Extraits de l’article.
« Quand on évoque le modèle suédois, ou scandinave, au Québec, on se réfère très souvent à une réalité qui remonte aux années 1970 et 1980 et l’on manque tout ce qui s’est passé durant les années 1990, c’est-à-dire une réforme de l’État extrêmement importante », explique [l’un des auteurs]. […]
Certes, la croissance économique par habitant depuis 30 ans y a été, entre autres, généralement plus forte que dans les autres pays développés [tandis que] les niveaux d’inégalité y sont parmi les plus bas. [C’est] un spectaculaire pied de nez à ces théories économiques qui veulent que les pays ayant un haut niveau de taxation (presque la moitié du PIB, contre 37 % au Québec), de très généreux programmes sociaux (presque 30 % du PIB contre 18 % au Canada) et un fort taux de syndicalisation (70 % contre 40 % au Québec) n’aient aucune chance dans la nouvelle économie mondialisée.
Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que ces pays ont aussi traversé une période de panne de croissance économique et d’envolée des déficits publics qui les a forcés, dans les années 1990, à revoir de fond en comble leur modèle de fonctionnement. « Le “2.0” de notre titre se réfère à cette réinvention en profondeur, explique Stéphane Paquin. Ces pays ont adapté leur modèle à la mondialisation. Ils sont conscients que, pour avoir des normes sociales élevées, il faut du libre-échange, il faut être concurrentiel, il faut être productif, il faut être meilleur que les autres, en somme. »
Cherchant à diminuer les dépenses de l’État sans réduire pour autant les services aux citoyens, la Suède s’est engagée dans une grande décentralisation au profit des gouvernements locaux. Plutôt que d’introduire plus de privé en santé, on a choisi de mettre en concurrence entre eux les établissements publics. Le gouvernement central a aussi pris le parti [de laisser plus de liberté aux agences en contrepartie d’une plus grande reddition de comptes aux élus].
« L’organisation du régime politique est plus vertueuse que la nôtre. Elle réserve l’ingérence politique aux tâches où elle est nécessaire pour des raisons démocratiques et de reddition de comptes et la limite là où des agences autonomes seraient plus efficaces », explique l’expert. Quant à la corruption, on y fait efficacement obstacle en imposant un niveau exceptionnellement élevé de transparence aux acteurs publics plutôt qu’en les soumettant à toutes sortes de règles.
En matière économique, le Danemark a inventé le système de « flexicurité » consistant à limiter au maximum les obstacles en matière d’embauche et de congédiement pour les entreprises, tout en garantissant des services efficaces de réinsertion en emploi et une généreuse assurance revenu aux travailleurs en cas de licenciement. Les Danois ont aussi frappé les esprits en acceptant qu’on réduise les charges sociales des entreprises afin d’en améliorer la compétitivité et qu’on aille chercher le manque à gagner dans une hausse de la taxe à la consommation.
Toutes les réformes n’ont pas fonctionné, précise Stéphane Paquin. La décentralisation des pouvoirs au profit des municipalités en matière d’éducation, par exemple, est généralement considérée comme un échec en Suède, au point où le ministre de l’Éducation en appelle, aujourd’hui, à une recentralisation des pouvoirs.
« C’est ironique quand on pense qu’il y en a au Québec qui citent justement son exemple pour en appeler à une réduction de la taille du ministère de l’Éducation et à l’abolition des commissions scolaires au profit des villes. De façon générale, ceux qui vantent ces pays choisissent souvent à la carte ce qu’ils aiment dans le modèle scandinave, ou ce que l’on imagine être le modèle scandinave. Mais pour connaître le même succès, il faut accepter tout le paquet. Il est vrai, par exemple, que le taux de syndicalisation et la fiscalité y sont plus élevés qu’ailleurs, mais on y est aussi obsédé par la productivité et la compétitivité des entreprises, y compris chez les syndicats. »
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De quoi nourrir la réflexion.